Une histoire d'arbre.


Mardi 20 juin.

C'est par environ 43°18,5N et 9°12,6 W que ça a commencé.
Il était 14h30, nous étions partis depuis 4 heures. Le vent très faible au départ nous avait incité à faire route au  moteur pour nous éloigner de ce que les autochtones ont baptisé "Costa da Morte". Je ne parle pas espagnol, mais je crois avoir compris ce que cela veut dire.
Le vent avait forci, soufflait à quelques degrés près de la direction où nous voulions aller, c'était limite pour tirer des bords. Au moteur, en nous aidant de la grand-voile, nous marchions à 5 noeuds, au bon cap.
Soudainement, grosses vibrations, Grognard, notre fidèle pilote est pris de tremblote, puis plus rien.
C'est sûr, on s'est pris quelque chose dans l'hélice. Point mort pour voir ce qui se passe, puis on embraye à nouveau, en montant les gaz : Rien.
Verdict, on a perdu l'hélice.
Je prends mon masque, plonge la tête dans l'eau, non, elle est  toujours là, mais j'ai l'impression qu'elle a reculé.
J'ouvre le compartiment moteur, je ne vois rien d'anormal, si ce n'est une entrée d'eau au niveau du presse-étoupe qui semble avoir explosé. Le moteur coupé, je fais une espèce d'emplâtre sur le dit presse-étoupe pour maîtriser la voie d'eau pendant que Cathy fait avancer le bateau le plus confortablement possible pour faciliter mon travail.

Notre objectif était de rallier Port Médoc à l'embouchure de la Gironde, mais il est évident qu'on ne peut pas envisager de faire 380 milles avec cette avarie, d'autant plus que les vents faibles ou inexistants nous suggèrent fortement l'utilisation d'un moteur inopérationnel.
Demi-tour, direction Camariñas. Nous avançons correctement dans une légère brise. Le soleil est là, une vraie journée d'été.
Après avoir passé Cabo Vilano, le vent s'essoufle, la vitesse descend à 2,5 noeuds, puis 2 puis  0,5. Nous arrivons dans le chenal d'entrée de la Ria Camariñas, l'eau est un miroir. C'est l'heure de sortie des pêcheurs qui, pressés d'aller travailler, foncent en faisant d'énormes vagues qui cassent notre progression laborieuse. A chaque bateau, il faut relancer Aïta Péa Péa. 5 minutes pour réussitr à atteindre 0,25 ou 0,5 noeud dans les risées.
Nous avons remplacé le génois par le petit foc car si nous devons virer de bord, ce sera plus facile. Bien sûr, cela n'arrange pas nos performances.
Les pontons apparaissent enfin, ils nous semblent très éloignés mais la brise évanescente nous permet de progresser. Un morceau de chance, une place est disponible en bout de ponton, la manoeuvre sera plus facile.

Il est 21 h. Le maître de port nous fait de grands signes pour nous indiquer une place trop difficile pour nous aujourd'hui. Il comprend que nous ne sommes pas très manoeuvrants et attrape nos amarres à la place que nous avions choisie.
Nous sommes très fiers de notre manoeuvre à la voile, ça faisait longtemps que nous en avions fait. Nous sommes des vedettes, CEUX qui manoeuvrent à la voile, des puristes ! Le mythe naissant s'effondre quand nous avouons le cas de force majeure...
Demain, nous verrons pour sortir le bateau et changer le presse-étoupe.

Mercredi 21.

Le maître de port nous propose un mécanicien. Nous déclinons son offre, nous pouvons changer nous-même le presse-étoupe. Il faut trouver le préposé au chariot qui tire les bateaux hors de l'eau.
En fin d'après-midi, Cathy le trouve et lui expose notre problème. Visiblement, il n'a pas trop envie de travailler et nous donne une fin de non recevoir. Un peu plus tard, nous apprenons que ce n'est pas lui qui gère le planning mais la prudhommie de pêche, qui n'est ouverte que le matin.
Nous changeons d'option et décidons de nous débrouiller seuls. Nous avons un dériveur intégral, alors nous allons nous échouer. Il y a une belle cale sur le port qui sera parfaite. Mais, les bateaux de pêche entrent et sortent à des vitesses excessives, soulèvent des vaguent qui peuvent faire jusqu'à 40 cm. Si c'est le moment où Aïta Péa Péa se pose, cela peut faire de gros dégats. Il faut chercher un endroit plus calme.
La Ria possèdent plusieurs plages qui pourraient nous satisfaire, à nous de choisir. Après consultation de Ramon, le maître de port, nous jetons notre dévolu sur praia da vila. Nous irons en reconnaissance demain matin pour voir où se poser.

Jeudi 22.

8h30, nous partons avec l'annexe inspecter la plage à marée basse. L'endroit semble propice à l'échouage en sécurité.
marée basse
14h50, Aïta Péa Péa en remorque de son annexe quitte la marina pour le premier échouage de sa carrière. Ce matin, nous avons repéré les alignements à suivre pour parer les cailloux sur les bords de la plage. Dérives et safran relevés, nous approchons. Le manque de vitesse rend le bateau difficilement contrôlable. Je saute dans un 1 m d'eau pour le redresser avec une aussière. Il pose doucement son étrave sur le sable.
Nous portons une ancre à terre pour ne pas reculer, une autre loin derrière pour nous maintenir dans l'axe quand la mer remontera. Il est 15h30.
Il faut attendre 2 heures que la mer descende suffisament pour commencer à travailler.
échouage


Vue du bateau échoué.

APP


Début de l'opération.
Je défais l'emplâtre qui avait été fait en mer. Une chose surprenante.

Le presse-étoupe est complétement de travers.
Il faut désaccoupler l'arbre d'hélice et le moteur. L'assemblage est réalisé par un tourteau (pas l'animal).. Une fois celui-ci ouvert, SURPRISE...

Un morceau d'arbre tombe dans les fonds. Oui, 10 cm d'inox, de 25 mm de diamètre. Notre arbre est cassé.

Nous remontons un nouveau presse-étoupe avec le morceau d'arbre qui nous reste, mais nous ne pouvons plus le relier au moteur. Nous bloquons l'hélice pour ne pas qu'elle recule et espérons que tout ça tiendra jusqu'à ce qu'on trouve un nouvel arbre.

Il nous faut attendre la prochaine pleine mer pour repartir. 3h56, c'est tôt.
En attendant, Cathy part à la pêche à pied.

Vendredi 23

De retour à la marina, nous partons en quête du mécanicien que Manuel nous avait indiqué. C'est un gros atelier avec tout le matériel nécessaire. Nous reviendrons avec notre arbre quand il sera demonté.
Ensuite, il faut trouver Xavier qui s'occupe de l'engin de levage, celui même qui avant-hier n'avait pas voulu de nous. Il est trop tôt, il est à la pêche à cette heure... Quand je le rencontre, il est maintenant tout à fait d'accord pour nous sortir, dès qu'il aura remis un bateau de pêche à l'eau.
Il faut nous organiser pour nous déplacer sans moteur. Nous avons environ 40 m à faire en se déhalant sur une aussière que nous portons sur le quai en face, avec l'annexe. Ramon vient nous aider pour nous faire entrer dans le chariot. Les sangles nous soulèvent, le chariot essaie d'avancer, oui essaie, mais sans succès; il patine. Xavier fait appel à un tracto-pelle pour le sortir de l'eau.

Une fois au sec, nous démontons le safran, puis sortons l'arbre que nous nous empressons de porter à l'atelier de mécanique. Nous devrions en récupérer un neuf lundi.

A suivre....

L'arbre cassé.



En attendant nous profitons de la vue depuis le bateau au sec.



Lundi 26.


Vers 19h, Xavier, le grutier nous apporte notre nouvel arbre qu'il a récupéré à l'atelier, alors que nous n'avons rien payé. Il faut souligner la gentillesse du chef d'atelier et sa promptitude à nous dépanner. Un arbre de cette taille n'est pas habituel chez lui; il a l'habitude des gros diamètres des bateaux de pêche. Il l'a commandé à La Corogne et nous l'a adapté dans un délai record. Il n'est pas sûr qu'un plaisancier lambda aurait eu le même service en France...


Nous attaquons le montage. Ce n'est pas facile, on ne peut pas faire passer le presse-étoupe, la clavette  et le tourteau dans l'espace compris entre le tube d'étambot et le moteur. Il faut avancer le moteur puis le remettre en place. Vers minuit, nous avons fini.

Mardi 27.

A 9 h, Xavier est là pour nous aider à remettre le safran. Il fait remonter le bateau d'un mètre pour que nous puissions passer la mèche de safran dans le tube de jaumière, puis repose Aïta Péa Péa. La prochaine pleine mer est à 19h30. Nous irons à l'eau à 18h.
Tout petit tour en mer pour tester notre réparation. L'équipage est très inquiet, puis très fier ! Pas de fuite, ÇA MARCHE !

Dans tout cela, il demeure un mystère : Pourquoi cette rupture, nous n'avons rien pris dans l'hélice, une paille dans le métal ? Nous avons récupéré l'arbre cassé, pour si nous rencontrions un expert ....