Ce soir, j'ai la nostalgie du Matelot Bonheur.


Pour ceux qui ne lisaient pas Voiles et Voiliers dans les années soixante-dix, c'est un conte de Marc P.G Berthier, illustré par lui, et raconté avec beaucoup plus de talent que je ne vais le faire.

Il était une fois, un enfant qui rêvait de la mer. Né au,milieu des terres, il ne l'avait jamais vue. A quinze ans, il fuit le domicile parental, cap à l'Ouest, pour voir l'Océan. Il arriva dans un port et découvrit les bateaux; leurs espars s'étiraient vers le ciel et semblaient des promesses d'infini. Il écouta les boniments d'un sergent recruteur et se trouva embarqué sur l'un de ces vaisseaux. Tout était à découvrir : le nom des voiles, des allures, les commandements, tout. Il aspirait à tout connaître, tout. Petit à petit, il devint familier de tous ces termes, tous. Il n'y avait pas un matelot plus prompt que lui à répondre aux sifflements du gabier. Quand il n'était pas de quart, il aimait  à se réfugier dans les hunes à écouter le vent siffler, à voir la mer rouler sous le navire. Il fit le voeu de ne jamais quitter les bateaux, de vivre au fil de l'eau.

Les années passèrent, jamais il ne mit pied à terre. S'il quittait un embarquement, c'était pour sauter sur un autre bateau, sans passer par la terre. Les années passèrent, il était toujours aussi alerte, son voeu le maintenait dans cette jeunesse. C'est ainsi qu'il vit disparaître les vaisseaux de ligne, les clippers, pour qu'il ne  reste plus que des navires dits de plaisance. Tout le monde appréciait la compagnie de ce jeune homme qui parlait avec tant de verve de Surcouf, Du gay Trouin, qu'on avait l'impression qu'il les avait connus. Cet original était très attachant, les armateurs se l'arrachaient. Un équipier aussi compétent, qui ne posait jamais pied à terre, il était devenu une légende.

Un soir, au retour d'une régate sur un magnifique yacht classique, comme on les appelle maintenant, il vit passer sur le quai une magnifique sirène. A sa vue, son coeur déborda, il ne fit qu'un bond et ...on ne revit jamais. On repêcha le corps d'un vieilliard, au moins centenaire, que personne ne put identifier..... Le matelot bonheur resta introuvable....

Ce soir, à 3 jours de quitter Aïta Péa Péa, j'ai le blues. Le Matelot Bonheur est avec moi, et peut-être suis-je le Matelot Bonheur. Mais j'ai la chance de quitter le bateau pour aller voir ceux que j'aime. J'espère que l'on ne repêchera pas un  vielliard quand je quitterai le bord, mais que Auriane et Jules retouveront un père et un grand père encore alerte...